Stefan se réveillait. Ses yeux s’ouvrirent sur un jour gris dont la lumière, adoucissant les contours des meubles et les angles des murs, ménageait sa tête engourdie. Ayant passé sa vie entière dans des régions tempérées, où les étés, plutôt froids et pluvieux, étaient suivis par des hivers assez doux qui apportaient plus de pluie que de neige, il avait appris, sans même devoir regarder par la fenêtre, à conclure de la qualité de la lumière à l’état du ciel. Aujourd’hui, le soleil allait rester caché derrière des nuages qui ne se dissiperaient pas de si tôt. La météo qu’il avait consultée avant de partir annonçait de la pluie aussi.
Stefan s’était difficilement endormi pour ensuite se réveiller à plusieurs reprises au cours de la nuit. Malgré une fatigue de plomb qui soudait ses membres au matelas, l’exaltation persistante l’empêchait de profiter du sommeil dont son corps aurait pourtant eu besoin. Une fois, au lieu de compter des moutons, il eut l’idée de faire des calculs : Nathalie était arrivée peu avant dix heures du soir, et ils avaient mis longtemps, malgré le froid, avant de pouvoir se décider à partir du quai. Une vingtaine de minutes pour le trajet, sans compter l’attente dans la station. Il calcula qu’ils étaient arrivés à Joinville-Le-Pont au plus tôt vers onze heures moins le quart. Ensuite, un bon quart d’heure pour le chemin de la gare à l’hôtel. Du coup, il était onze heures minimum quand ils avaient enfin pu gagner leur chambre. Après, il avait perdu toute notion relative au passage du temps. Tout s’était confondu : les premiers baisers sur le lit, le bain, les étreintes répétées, les corps nus, les jambes de Nathalie et sa langue sur elle et en elle, l’amour. Pas moyen d’avoir pris beaucoup de sommeil quand-même. Les chiffres, sans pouvoir rétablir l’ordre dans une vie bousculée, avaient pourtant eu le même effet que les moutons – il s’était endormi, en proie à des rêves dont, au réveil, ne subsistait pas le moindre souvenir, mais qui l’avaient tellement excité que son sommeil ressemblait à celui d’un fiévreux qui ne trouve le repos que par intermittence.
Il devait être à peu près huit heures. Les fenêtres isolaient assez bien la chambre du bruit qui montait de la rue, mais Stefan entendait des voitures qui passaient régulièrement. Ça bougeait pas mal sur la route devant l’hôtel. Même la nuit, il y avait de la circulation, alors, en plein jour, aux heures de pointe, fallait pas demander. Stefan n’osait pas bouger. Nathalie aimait dormir tard le weekend, et là, en plus, elle devait être crevée après le voyage et les ébats de la nuit. Il restait donc couché sur le dos, légèrement penché du côté de Nathalie. Il la regardait dormir. Elle bougeait peu dans son sommeil. Il avait souvenir de l’avoir entendue légèrement ronfler pendant ses réveils précédents. Maintenant, il n’entendait plus que son souffle régulier. Elle dormait couchée sur le côté, le dos tourné vers lui. Le flot de ses cheveux châtains s’était répandu sur l’oreiller et cachait une épaule et une partie du dos. Stefan avait grande envie de les toucher, mais il se maîtrisait assez pour ne pas rompre ce charme. La belle femme ! L’idée s’imposa à lui. La beauté de cette femme l’avait époustouflé. Il se la rappelait, debout dans le cadre de la porte de la salle de bain, toute nue, les cheveux ramassés en chignon, le sourire rayonnant des lèvres sur le visage entier. Le froid lui avait fait ramasser les épaules et elle se tenait dans une position légèrement courbée. Elle était admirable ainsi. Et cette femme était là, de l’autre côté du lit, toujours nue, pendant que sa peau et ses cheveux dégageaient une odeur dont Stefan était très conscient. Il respirait cet air, chargé de molécules qui chatouillaient ses narines. Il les imaginait défiler, une à une, à travers les cavités de son nez.
Le temps passait, et Stefan ne savait pas au juste ce qu’il préférait : Il aurait aimé voir les minutes s’allonger pour lui donner le temps de contempler encore Nathalie dans son sommeil et de faire naître des fantaisies quant à ce qu’ils inventeraient encore comme jeux. Et en même temps, il voudrait qu’elle se réveille enfin afin de ne plus devoir s’imposer cette immobilité où le tenait la crainte de la réveiller avant qu’elle n’ait suffisamment dormi.
Il la sentit bouger. Elle courba son dos et tendit ses quatre membres. Les contractions de ses muscles y firent parcourir des tremblements. Des sons gutturaux accompagnèrent la grâce féline de ses mouvements. Stefan se rapprocha pour enfouir son visage dans sa chevelure abondante. Il y retrouva les odeurs de la nuit. Nathalie, sentant la présence de l’homme, se réveillait. Elle ne changeait pas de position, mais Stefan sentit qu’elle venait de sortir de la torpeur où l’exercice prolongé l’avait profondément plongée. Tout doucement, il posa une main sur son épaule. Sa peau avait conservé des restes de la chaleur de leur union. Incapable de résister davantage, il se blottit tout à fait contre elle pour sentir son corps entier, et pour l’abriter dans le creux du sien. Il mit un bras autour d’elle et sentit sa main enlacer la sienne.
« Bonjour, mon cœur. J’aime bien quand tu me fais la cuillère. »