XIII. Plus jamais

Les por­tières s’ouvrirent, et l’inquiétude s’empara jusqu’au dernier des pas­sagers. La foule s’ébranla. Tout le monde rassem­bla ses bagages et avança par petits pas, gêné par la lenteur des voisins. Par la vit­re, Nathalie vit les pre­miers voyageurs descen­dre sur le quai, où se répé­ta le grouille­ment dont elle avait déjà été témoin dans les autres gares. Elle cal­cu­la les min­utes qu’il fal­lait encore atten­dre avant de pou­voir sor­tir. Est-ce qu’il l’attendrait sur le quai ? Ou dans le hall ? Ten­tée de pren­dre son portable et de l’appeler, elle amorça un mou­ve­ment pour met­tre la main dans son sac, mais renonça presque aus­sitôt à cette idée, bien trop ser­rée dans le couloir pour bouger, et ne voulant pas courir le risque de ralen­tir encore l’avancée. Tant pis, il serait là ! C’était quand-même incroy­able, la lenteur des gens, trop mal­adroits pour garder un sem­blant d’or­dre et avancer avec leurs valis­es et leurs sacs qui trainaient dans le couloir et gênaient tout le monde. Finale­ment, elle se retrou­va près de la por­tière. Se pen­chant légère­ment en avant pour mieux voir, elle ten­dit le cou. Le voilà, sur le quai ! Il se tenait tout près de la voiture, debout au milieu du flot humain, qu’il scindait par son immo­bil­ité. Il por­tait sa veste noire, famil­ière déjà à cause des dizaines de pho­tos envoyées par MMS. Le gris de ses cheveux était beau­coup plus remar­quable que sur les clichés, sous la lumière arti­fi­cielle des lam­padaires qui s’alignaient sur le quai. Il la recon­nut, et sur ses lèvres s’al­luma un sourire énorme. S’il gar­da le silence, son vis­age en dit long sur l’envie qu’il ressen­tait de crier de toute la force de ses poumons ce nom qui le tra­vail­lait depuis si longtemps.

Main dans la main après l'arrivée à Paris
« Je ne te lâcherai plus jamais, Nathalie… plus jamais ! »

Fran­chissant les derniers pas qui les sépar­ent, elle arrive une deux­ième fois – et pour de bon, cette fois-ci. Elle est là, debout, les pieds solide­ment plan­tés sur le béton gris de la plate­forme, les doigts de la main gauche crispés autour de la poignée de sa valise. Son sac pend à sa droite, sou­tenant sa main qui repose dessus, fatiguée au bout du voy­age. Elle attend. La foule grouille autour d’eux. Les gens, poussés par le froid, ont hâte de gag­n­er le hall, la chaleur rel­a­tive des couloirs souter­rains ou le con­fort d’un taxi. Eux, ils restent, immo­biles, figés. Douce­ment, il s’anime. Il fait un pas vers elle, pour rompre le cer­cle mag­ique où les désirs de Nathalie l’ont con­juré. Elle le voit pro­gress­er, bous­culé par le bal­let des corps et des valis­es, approcher, s’immobiliser à nou­veau, à quelques cen­timètres d’elle, ses yeux rivés sur les siens. Il lève ses bras, lente­ment, comme s’ils étaient retenus par un liq­uide visqueux venu rem­plac­er l’atmosphère. Ils vien­nent se pos­er sur son dos, les doigts se liant der­rière elle pour l’en­traver, la ren­dre pris­on­nière. Elle baisse ses paupières. Les jeux de la lumière sont rem­placées par une vague lumi­nosité chaude, teinte de jaune et d’orange, à tra­vers laque­lle elle sent ses regards lui brûler la peau du vis­age Les bras, ani­més par des mus­cles crispés sous de mul­ti­ples couch­es de vête­ments, trem­blo­tent sur ses épaules, déploy­ant assez de force pour­tant pour l’at­tir­er vers la source de chaleur dont elle sent le ray­on­nement si près d’elle. Son pro­grès est arrêté par le torse con­tre lequel s’écrase sa poitrine, par les os durs de son front où se posent les siens. Sa tête glisse vers son cou, cher­chant l’abri de sa chevelure, et elle entend un mur­mure, à moitié absorbé par sa peau, à moitié porté par le choc des molécules de l’air : « Je ne te lâcherai plus jamais, Nathalie… plus jamais ! » 

xiv. à part