XIX. Sous la couette

Ste­fan fut sur­pris de se retrou­ver dans une baig­noire, dont l’eau ne ressem­blait en rien à celle de ses sou­venirs. Le retour en arrière fut assez brusque pour brouiller sa mémoire jusqu’au nom de la femme qu’il trou­va assise con­tre lui, et dont il sen­tit la tête et les cheveux sur la poitrine. L’abolition du temps, voici le pro­pre du sou­venir, pen­sa-t-il. Pen­dant un instant, il était retourné en arrière pour y vivre des jours entiers en condensé.

Une voix le tira d’embarras :

« Dis, tu ne trou­ves pas qu’il com­mence à faire un peu fris­quet, dans l’eau ? »

Avec sa tête encore prise dans les brumes du passé, à peine révolu s’il s’en remet­tait à la seule vivac­ité des sou­venirs, il eut de la peine à com­pren­dre ce qu’on lui pro­po­sait – ce que Nathalie lui pro­po­sait, le nom s’é­tant finale­ment dégagé du délire. Un ivrogne se réveil­lant après une nuit trop courte, passée à vider trop de bouteilles, c’était l’image qui se présen­tait pour résumer son état.

« Un peu quand-même, oui, répon­dit-il, avec une voix comme enrouée.

– Et si on sortait ?

– Je veux bien. Qu’est-ce qu’on fait alors ? Tu veux te douch­er la première ?

– Non, vas‑y, toi, d’abord. J’aimerais trop te regarder pen­dant que tu te laves.

Cette dernière phrase fut dite avec un accent de volup­té qui fit com­pren­dre à Ste­fan, mal­gré son trou­ble, que ce n’était finale­ment pas la tem­péra­ture qui avait fait naître chez Nathalie l’idée de sor­tir du bain. Il se leva, prit le fla­con qu’elle lui tendait, et se savon­na partout. Le mou­ve­ment, aidant le sang à repren­dre le rythme habituel de la cir­cu­la­tion, con­tribua à le faire sor­tir de son engour­disse­ment. Il trou­va que ce n’était pas une mince affaire que de se rin­cer dans un espace très restreint, occupé en plus par deux per­son­nes. D’abord, s’il devait évidem­ment faire atten­tion de ne pas marcher sur Nathalie, il fal­lait ensuite éviter d’inonder la salle de bain. Il se débrouil­la pour­tant, et une fois sor­ti de la baig­noire, il s’essuya et s’enveloppa ensuite dans sa servi­ette. Nathalie l’avait regardé faire pen­dant tout le temps qu’il y met­tait. Ste­fan guet­tait l’instant où elle se lèverait à son tour, mais comme elle voulait faire mon­ter la ten­sion pour prof­iter d’une décharge plus vio­lente plus tard, elle le fit par­tir en lui pro­posant de chauf­fer le lit.

L’effet de l’évaporation se fit ressen­tir, et quand la chair de poule com­mença à cou­vrir ses bras, Ste­fan finit par trou­ver cette idée d’attendre Nathalie au lit sim­ple­ment géniale. Il lança la servi­ette humide sur le dossier d’une chaise, soule­va la cou­ette et glis­sa dessous pour s’abriter dans un cocon de chaleur.

Nathalie, après quelques derniers instants passés à se vautr­er dans l’eau, se leva et fit marcher la douche. Ste­fan, qui l’en­ten­dit, l’imagina, sur fond de ce bruit monot­o­ne, en train de cou­vrir son corps de savon, partout, entre ses seins, sur son ven­tre, entre ses cuiss­es, sur les fess­es, le long de ses jambes. Déten­du par sa pro­pre chaleur qui se con­cen­trait sous les cou­ver­tures, il se réchauf­fait, et fer­ma les yeux dans un accès de som­no­lence voluptueuse. Il vit Nathalie se rin­cer, de petits filets se fau­fi­lant sournoise­ment entre ses seins, empor­tant les dernières traces de la mousse.

Finale­ment, Nathalie sor­tit de la baig­noire, et son ombre se dessi­na sur la porte ouverte. Ste­fan l’entendit agiter les servi­ettes. Puis, elle était là, debout dans l’encadrement de la porte, nue, exam­i­nant la cham­bre, le lit, son amant. Les servi­ettes étaient restées dans la salle de bain, nég­ligem­ment jetées quelque part. Pressée de rejoin­dre Ste­fan sous la cou­ette, elle ne s’était que som­maire­ment essuyée, et sa peau étince­lait sous la lumière arti­fi­cielle. L’humidité, en péné­trant dans ses cheveux, les avait ren­dus plus fon­cés et plus lourds. Ils col­laient con­tre le crâne qu’ils encadraient et fai­saient ain­si paraître plus grand, plus anguleux, comme privé de son auréole. Sa fig­ure, sous l’effet de cette nappe som­bre, bril­lait d’un éclat plus blanc. Les mamel­ons pointaient tou­jours, au bout de seins que ses pas vigoureux fai­saient bal­ancer, quand elle prit enfin la réso­lu­tion de pénétr­er dans la cham­bre. Au milieu de son ven­tre sail­lant, l’ombre noire du nom­bril atti­rait les regards comme le cen­tre d’une cible les flèch­es. Au-dessous, juste un peu plus bas, s’étendait la région sur laque­lle rég­nait le mys­tère soyeux et som­bre des poils qu’elle avait ton­dus pour leur don­ner encore plus de douceur. Ses jambes, pas très longues mais d’un galbe réguli­er, vibraient sous la force d’une énergie retenue.

Sans hésiter, elle soule­va la cou­ette et se coucha. Tout ça se pas­sa de la façon la plus naturelle du monde. Une femme, un homme. Ste­fan res­ta un peu à l’écart pour mieux la con­tem­pler. Pen­dant quelques instants il ne vit que sa tête sor­tir de dessous la cou­ette. Ste­fan avança sa main droite pour lui caress­er le vis­age. Le front d’abord, juste à la racine des cheveux, puis les tem­pes, les joues, le men­ton. Sa peau était éton­nam­ment blanche pour une fille du midi. Même compte tenu de la sai­son. Il arrê­ta son doigt près de ses lèvres qui l’accueillirent avec un léger frémisse­ment, telles des avant-gardes de sa sen­su­al­ité. Leur rouge avait pris des nuances moins fon­cées à cause du froid qui, agis­sant avec beau­coup d’efficacité sur une peau réchauf­fée par l’eau de bain, avait fait reculer le sang ailleurs que dans ces par­ties trop exposées du corps. Pas très char­nues, elles étaient pour­tant fine­ment dess­inées, comme si un artiste, d’habitude plutôt du genre réti­cent, avait voulu, pour une fois, se lancer avec verve dans sa tâche. Ste­fan y posa son index et suiv­it les lignes élancées de cette bouche. Après en avoir fait le tour, il plaça le doigt sur le bout du nez d’où il dom­i­nait le ter­rain qu’il venait de par­courir. Il l’y lais­sa repos­er pen­dant quelques instants, puis le fit descen­dre, à droite, à gauche, cares­sant et cha­touil­lant sur son pas­sage. Elle ten­dit le cou pour lui ren­dre les caress­es plus faciles. Ste­fan appli­qua sa main entière pour cou­vrir une plus grande par­tie de son vis­age, et, comme un chat qu’on caresse, elle cher­chait à devin­er la posi­tion que la main allait pren­dre pour venir à sa ren­con­tre et y appuy­er sa tête. Puis, elle ouvrit ses lèvres pour les fer­mer autour d’un doigt qui pas­sait. Elle l’arrêta, exerçant juste assez de pres­sion pour lui faire com­pren­dre ce qu’elle voulait : arrêter les prélim­i­naires, et très fort la serrer.

Ste­fan ten­dit ses bras, elle avança. Il la prit et ses mus­cles trem­blèrent sous la force qu’il dépen­sait, comme s’il voulait la faire franchir la bar­rière dressée entre eux. Attisés par le désir, ils se lais­sèrent envelop­per par la couche de chaleur que la prox­im­ité créait autour d’eux. Ouvrant les yeux, simul­tané­ment, pour y puis­er un plaisir mutuel, ils se retrou­vèrent avec les bouts de leurs nez col­lés l’un con­tre l’autre, leurs yeux à une dis­tance de quelques cen­timètres. Ste­fan vit des reflets dorés par­courir les prunelles de Nathalie. Ébloui, il bais­sa les paupières, et, ren­du soudain aveu­gle par la nuit orangée qui rég­nait dans sa tête, cher­cha à attein­dre ses lèvres. Un long bais­er leur don­nait à tous les deux la mesure du plaisir qu’ils étaient capa­bles de s’offrir mutuellement.

Ils passèrent des instants ren­dus inter­minables par la volup­té à s’ef­fleur­er, à s’embrasser et à se palper à l’abri des cou­ver­tures. Pas­sant de la bouche au cou, à la gorge, à la poitrine, descen­dant tou­jours plus loin, le long des flancs, Ste­fan arri­va sur le ven­tre où il réal­isa son fan­tasme en trem­pant sa langue dans le creux du nom­bril qu’il lécha pen­dant de longues min­utes. Au tout pre­mier con­tact de cette chair cha­touilleuse, l’effet de sur­prise avait fait sur­sauter Nathalie. Elle eut le pre­mier réflexe de le repouss­er, mais deux, trois coups de langue avaient suf­fi pour la ren­dre docile, la faisant som­br­er dans une volup­té que les coups doux et humides de la langue hardie enfon­cèrent au milieu de son ven­tre. Ensuite, Ste­fan enta­ma une ultime descente lente et déli­cieuse, ponc­tuée de bais­ers et de coups de langue répétés, jusqu’à l’endroit où les cuiss­es encore ser­rées lui blo­quaient pro­vi­soire­ment encore le passage.

xx. le sexe de Nathalie