IV. Le long de la Seine

Michael longea la cathé­drale et se rap­procha du parc placé entre le chevet de l’église et la pointe de l’île. Les branch­es des arbres dénudés étaient noires d’humidité et les regards se per­daient dans leur enchevêtrement inex­tri­ca­ble. Le bruit de la ville deve­nait de plus en plus faible à mesure que le promeneur soli­taire s’éloignait du parvis et, ni la voix des hommes, ni le chant des oiseaux ne venait lui rap­pel­er la présence d’une vie bruyante. Quand au bout de quelques min­utes il tom­ba sur le quai, il le tra­ver­sa pour être plus près de l’eau. La Seine coulait imper­turbable sous le ciel gris. Le silence que dégageaient les arbres endormis s’était glis­sé dans la rue, souligné encore par les sil­hou­ettes des rares voitures qui roulaient sans bruit, propul­sées par la force tran­quille de leurs bat­ter­ies géantes. Quelques pas­sants se recro­quevil­laient sous leurs para­pluies et Michael crut pou­voir enten­dre le clapo­tis des vagues à tra­vers le silence de la ville. Il mar­cha douce­ment, bien ren­fer­mé dans un monde à part où rég­naient seules ses pen­sées mélan­col­iques. La ren­con­tre devant l’autel de Notre-Dame l’occupait tou­jours et il ne pou­vait oubli­er l’image de cette femme qui sem­blait en com­mu­nion avec le génie du lieu. Michael n’eut pas d’yeux pour les belles demeures le long du quai, ni pour la Seine dont il avait pour­tant cher­ché la prox­im­ité. L’île Saint-Louis lui tint com­pag­nie pen­dant un bout de route, inaperçue par l’esprit occupé du promeneur soli­taire. L’Hôtel-de-Ville, qui se dres­sait majestueux sur l’autre rive, réus­sit à lui arracher quelques regards, mais même sa façade impres­sion­nante ne retint pas longtemps son atten­tion, et il con­tin­ua sa route. Au débouché de la Rue de la Colombe il s’arrêta pour con­tem­pler les eaux trou­bles, vert de gris, qui char­ri­aient la boue de leurs fonds vers la mer encore loin­taine. Le dessous du pont, qui enjam­bait la Seine quelques mètres plus loin, reflé­tait le vert mal­sain des flots qui pas­saient. Une couleur qui fit penser Michael aux noyés de la Seine. Ses poils se dressèrent rien qu’à l’idée d’une telle mort froide, liq­uide et solitaire.

Michael tour­na le dos à la Seine dans l’espoir de se chang­er les idées et emprun­ta la rue étroite qui s’ouvrait devant lui. Sa soli­tude s’était mêlée à des pen­sées lugubres, et il hâta le pas pour sor­tir des ruelles désertes et rejoin­dre l’animation des axes prin­ci­paux. Ayant con­tourné l’Hôtel-Dieu, il se retrou­va à côté de la cathé­drale, Rue de la Cité, où un grand nom­bre de cafés et de restau­rants attendaient des clients. Il entra dans le pre­mier étab­lisse­ment dont le garçon eut l’air moins maus­sade que le reste de ses con­frères qu’on employ­ait d’habitude dans ces pièges à touristes. Mal­gré le prix pro­hibitif des con­som­ma­tions en salle, il évi­ta le comp­toir et s’installa à une table. Il enl­e­va son man­teau, le déposa sur le dossier de sa chaise, et, après avoir com­mandé un café, il sor­tit un livre de sa poche qu’il com­mença à feuil­leter — Pour qui sonne le glas, livre qu’il ado­rait depuis sa jeunesse, récem­ment réédité à l’occasion du cen­te­naire de sa paru­tion. C’est ain­si qu’il avait imag­iné pass­er ses journées à Paris – flân­er, lire, vis­iter, baign­er dans les effluves de cette ville mirac­uleuse et de ses mil­lions de vis­i­teurs et d’habitués. La lec­ture l’envoûta, l’attirant peu à peu dans un monde à part, au point où les con­ver­sa­tions des autres clients lui échap­paient tout à fait. Un mur de silence se for­mait autour de lui quand, tout à coup, il s’entendit appel­er : « Monsieur ? ».

Michael, brusque­ment arraché aux pages de son roman, eut un soubre­saut. Son regard tom­ba sur une sil­hou­ette près de sa table, un vis­age ridé, et des mains blanch­es qui tenaient une écharpe. Il recon­nut la femme de Notre-Dame.

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