Stefan ne bougeait pas quand Nathalie, en se tournant vers lui, rompit l’immobilité. Elle lui tendit le front, il y posa la bouche. Ses cheveux dégageaient une odeur où se mélangeaient des relents de la chaleur des bougies, le froid de la nuit, et un indescriptible parfum de femme. Stefan exerça juste assez de pression pour sentir les légères irrégularités que la peau de la femme imprimait à la chair caressante des lèvres. Il ferma les yeux et se pencha jusqu’à sentir les cheveux de Nathalie lui chatouiller le visage. Ils restèrent ainsi sans bouger pendant quelques minutes, se rassurant par leur présence, au milieu de la nuit qui les isolait, deux ombres dans l’obscurité.
Cette fois-ci, ce fut à Stefan de sortir le premier de cette nouvelle immobilité. Ayant rempli ses poumons de l’air qui venait de passer sur le corps de Nathalie, il se redressa, un peu trop brusquement, et Nathalie, déstabilisée par la perte de son point d’appui, trébucha et tomba dans ses bras. Elle colla son visage contre sa poitrine, comme pour se cacher, et sa bouche laissa des traces humides sur l’étoffe quand elle poussa des éclats de rire étouffés qui ressemblaient étrangement à des sanglots réprimés. Rassurée par les bras qui la tenaient, elle aussi se redressa, et ils se regardèrent : dans leurs yeux scintillaient la joie et l’envie. Ensemble, au même instant, ils se mirent en marche, comme si les lumières du fond de leurs yeux venaient de leur rappeler les fenêtres illuminées de l’hôtel qui les appelaient sur l’autre bord de la rivière. Bras dessus bras dessous ils arrivèrent devant l’entrée au bout de quelques minutes.
Stefan passa à la réception pour réclamer la clef pendant que Nathalie appelait l’ascenseur. Ils traversèrent les couloirs déserts en gardant le silence au milieu des liens que le désir partagé tissait entre eux. Stefan inséra la carte dans la serrure, ouvrit la porte et laissa entrer Nathalie la première. Elle alluma la lumière en entrant, enleva son blouson et se tourna vers Stefan qui venait de fermer la porte :
« Devine un peu, mon amour ! »
Il la regarda afficher un petit sourire légèrement malicieux, entreprenant, les mains sur les hanches, statue incarnée de la séduction et de la bonne humeur.
« Tu as – envie de prendre un bain ?
– Bien sûr », répondit Nathalie en lançant des regards taquins en direction de son amant qui allait prendre un avant-goût du plaisir dont ce corps était prometteur. Nathalie se jeta dans ses bras ouverts et s’amusa à lui faire sentir son poids entier en se suspendant, les jambes repliées en arrière, à son cou. La seule masse de cette chair vivante, palpitante et remplie de sèves, auxquelles Stefan eut grande envie de goûter, le remplit d’un désir qui parcourut ses muscles comme un spasme électrique et couvrit sa peau de frissons. Les mains sous ses fesses, il la serra tout contre lui, au point de lui faire mal, plaça sa bouche contre son oreille et murmura :
« Je vais te serrer jusqu’à ce que tu ne bouges plus, je vais te déshabiller jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien entre nous, je vais ouvrir ta bouche et aspirer ta salive pour m’en remplir les poumons, je vais ouvrir tes jambes et je vais ramasser ta mouille à même tes lèvres cachées. Je vais boire à ta source jusqu’à ce que mes entrailles regorgent de toi. Je vais te regarder jouir pour faire porter à mes yeux les stigmates de ton plaisir, je vais te faire crier de joie pour m’assourdir des échos dont ma mémoire retentira à tout jamais – je vais t’aimer, et voilà bien le plus grand malheur que je puisse nous infliger !
– Je suis remplie de potions savamment concoctés, mon amour, et je vais me servir de leur magie pour t’enchaîner. Je vais t’en faire réclamer encore et encore, et je vais m’absenter pour faire monter tes envies. Je vais rester loin jusqu’à ce que tu sois rempli de sèves, prêt pour une moisson dont je vais te faire subir les supplices. Je vais arroser l’arbre qui pousse au milieu de ta virilité pour ensuite y poser l’étreinte de mes lèvres et y imprimer la trace de mes dents. Je vais te retirer le privilège de me pénétrer parce que ton amour sera réservé à ma bouche, je te destine à me nourrir et je changerai ta bite en téton auquel je serai pendue éternellement pour y sucer une manne dont je compte me remplir la bouche, le gosier, le ventre et jusqu’aux entrailles. Je déborderai de toi, et un jour, quand j’aurai su monter ton amour aussi loin que je puisse t’exciter, je mourrai asphyxiée, les poumons noyés de ta salive, et on me retrouvera étendue par terre, les lèvres entrouvertes avec dans ma bouche les restes de ton sperme à moitié digéré. »
Pendant toute cette incantation, Stefan avait cédé de plus en plus sous le poids de la femme suspendue à son cou. Il déploya toute sa force pour amortir sa lente chute en avant et il réussit à la coucher doucement par terre, sur la moquette, avant de s’effondrer sur d’elle. Elle profita de sa faiblesse passagère pour prendre sa tête dans ses mains, l’attirer vers elle et lui poser un énorme baiser humide sur le nez qui, une fois ses lèvres retirées, dégoulina de salive.
Il s’arracha de son étreinte, se redressa, respira un grand coup pour se remettre de l’effort qu’elle venait de lui demander, et la contempla, étendue à ses pieds.
« Tu es ravissante, mon amour. Mais attends d’être couchée sur le lit en train de me sentir partout. Tu seras franchement irrésistible !
– Ce sont ton amour et ton avidité qui me rendent belle. Mais ma volupté va te faire brûler et quand tu seras consumé par le feu, c’est moi qui vais renaître de tes cendres — plus jeune et plus belle encore. »
Il lui tend son bras et l’aide à se relever. Puis, il enlève ses chaussures, dénoue sa cravate, déboutonne sa chemise, ouvre sa ceinture pour baisser son pantalon, retire les chaussettes et, vêtu de rien d’autre que de son slip, fonce vers la salle de bain.
Comme il n’y a pas de chauffage, Stefan frissonne légèrement et se hâte de faire couler l’eau. Elle sort violemment du robinet grand ouvert et Stefan se retrouve isolé derrière un rideau sonore tiré par le bruit du jet qui se brise contre les parois blanches et froides de la baignoire. Il place ses bras dans l’eau pour en essayer la force et pour capter une partie de sa chaleur dont il compte dévier un peu de son énergie pour se réchauffer. La température devenant bientôt insupportable, il doit retirer ses bras en vitesse pour éviter de se brûler. Ses regards tombent alors sur la tache rose d’une bouteille de gel douche placée sur le lavabo juste à côté. La prendre et verser son contenu dans l’eau bouillonnante est tout un. Presque aussitôt, des bulles commencent à se former à l’endroit où l’eau du robinet plonge dans celle du bain. Fasciné, Stefan contemple les bulles qui naissent sur l’eau et forment, au bout de quelques instants, un monticule qui grandit au fur et à mesure que monte le niveau de l’eau dans la baignoire. La vapeur enveloppe Stefan et finit par éliminer le froid qui avait assiégé le corps presque nu. L’envie de se laisser glisser dans l’eau devient irrésistible, mais comme il faut d’abord en réduire la chaleur, Stefan ajoute de l’eau froide et attend un peu avant de se pencher dessus pour y plonger ses bras. Une joie enfantine naît quelque part dans ses entrailles, se répand à travers le tissu de ses muscles et de sa peau, et le fait rayonner de joie quand il voit disparaître, d’abord ses doigts, ensuite ses bras jusqu’aux coudes, dans la mousse blanche. Des myriades de bulles minuscules éclatent au contact de sa peau et la couvrent d’une sensation agréable, d’une sorte d’effervescence, accompagnée par un bruissement qui lui rappelle le son d’un comprimé qui se dissout dans un verre d’eau.
Absorbé par le spectacle du paysage de mousse, rendu sourd par le bruit de l’eau qui coule, Stefan ne se rend pas compte de ce que Nathalie, qui s’était rapprochée à pas de loup, pieds nus, se tienne, immobile, juste derrière lui, regardant, fascinée, le jeu des muscles sous la peau, et flairant l’odeur masculine à travers l’avalanche de molécules que lui apporte la vapeur. Elle avance une main, hésitante d’abord, mais de plus en plus déterminée, attirée par la peau nue qui s’étale devant elle et qui appelle la sienne. Un doigt glisse dans le slip. L’homme cesse de bouger, tétanisé par la présence inattendue. En proie au désir renouvelé, Nathalie tire sur le bout d’étoffe, doucement d’abord, mais bientôt avec plus de résolution, rendue plus entreprenante par la vue des fesses qu’elle découvre au fur et à mesure de sa hardiesse grandissante, et plus encore par l’idée du sexe qu’elle imagine en train de se dresser pendant qu’elle fait glisser le dernier morceau de vêtement le long des jambes musclées. Une fois le slip par terre, Nathalie aide Stefan à s’en débarrasser en lui tenant les pieds qu’il soulève l’un après l’autre.
Lentement, ses mains reprennent le parcours en sens inverse, effleurant à peine la couche soyeuse des poils lisses et reluisants où l’énergie de l’homme surexcité guette le passage des paumes moissonneuses. Nathalie, branchée sur le désir qu’elle fait naître, entend crépiter les étincelles qui passent entre leurs épidermes, et ses poils se dressent quand ce flux supplémentaire vient s’ajouter aux courants qui circulent dans ses propres veines. Les yeux fermés, les lèvres entrouvertes, elle débouche finalement sur le terrain rond et voluptueux des fesses qu’elle commence à couvrir de mouvements circulaires. Elle se laisse tenter par des excursions dans les régions voisines du dos et des jambes, mais elle renonce pour l’instant à faire le tour complet du torse qu’elle se réserve pour plus tard. Stefan, sous les mains qui le tâtent, frissonne d’aise et d’excitation pendant qu’il absorbe la chaleur animale qui rayonne du corps de la femme en chaleur. S’approchant encore davantage, Nathalie se frotte doucement contre le corps penché au-dessus l’émail blanc des parois. L’image de sa nudité, de son corps épilé avec juste la petite touffe de poils foncés dont il sent le chatouillement dans le bas de son dos, s’empare de Stefan pendant que Nathalie continue de promener ses mains le long de l’échine, les faisant monter, descendre, remonter, descendre encore. Elle aussi tremble, et pose ses mains sur ses épaules, juste le temps de sentir vibrer, à fleur de peau, la force retenue de l’homme qui se livre, jusque dans les moindres fibres de ses muscles.
Irrésistiblement attirée par l’énergie vitale qui se concentre sous la peau du cou, où elle sent passer le sang et l’air, elle y pose ses doigts pour palper les cordes des muscles et débusquer les battements réguliers des artères. Surexcitée par l’énergie qui palpite sous ses doigts, elle resserre ses doigts dans une étreinte presque féroce. Ensuite, pendant que sa main gauche glisse sur la peau fraîchement rasée autour des lèvres, suivant, à travers la mince couche de chair, les os de la partie inférieure du crâne, la main droite passe sur la bouche et les joues, couvre les yeux et les arcades sourcilières, monte le long du front et s’enfouit dans la chevelure. Les phalanges sveltes et fins se replient, les ongles s’enfoncent dans la paume et Nathalie empoigne les cheveux de Stefan dans une prise ferme. Elle se rend maîtresse de l’homme qui est à genoux devant elle. Dans un élan de violente tendresse, elle tire sa tête en arrière, renforçant le mouvement par la pression exercée en même temps par sa gauche contre le menton. Stefan s’abandonne au plaisir de subir cette domination, et quand il ouvre les yeux, c’est pour voir les seins de Nathalie juste au-dessus de sa tête. La vue de leur surface bombée, de la peau lustrée et humide, des mamelons dont les pointes se dessinent foncées sur le fond plus clair des murs, le plonge dans un abîme qu’il imagine rempli à ras bord du liquide chaud et visqueux de la volupté qui bouillonne entre les cuisses de Nathalie.
Ayant établi les rôles, elle se penche pour poser ses lèvres sur la gorge offerte. Ses mains repartent à la découverte des plaines étendues du dos, pendant que sa bouche glisse sur la peau au-dessous de laquelle s’étend le réseau des artères. La vision du sang circulant, pompé vers le membre qui se dresse et se gonfle sous l’afflux des globules, donne le vertige à Nathalie qui se croit emportée dans une cavalcade, rouge et irrésistible.
Agenouillée, elle enfonce ses doigts entre les cuisses de son amant qu’elle vient d’assujettir. Une chaleur moite l’y accueille. Poussant plus loin, elle rencontre, au creux des cuisses, la peau tendre et lisse, fraîchement rasée, des bourses. Elle palpe très doucement les deux boules qui s’y cachent avant de fermer ses doigts autour de cette partie de l’anatomie où se résume comme en condensé la corporalité de son amant. Elle soupèse les testicules comme pour mesurer la dose de plaisir qu’elle pourrait en tirer. Les jambes frémissent, et le sang, fidèle à l’appel, bat les parois de la grande artère du pénis, appelé par la magie qu’opèrent les caresses adroites. Nathalie avance son majeur pour chatouiller le bout de la verge. Tout en gardant le scrotum sous l’emprise chaude de sa main droite, dont la peau se mouille sensiblement sous l’effet combiné de l’air humide de la salle de bain et de la transpiration de leurs corps, elle empoigne le sexe de sa main gauche. Pleinement érigé, il offre une prise facile à la main exigeante. Ses doigts se reserrent fermement autour de la chair.
Ils restent ainsi, collés l’un contre l’autre, pendant des instants interminables, parcourus tous les deux par des vagues de désir qui les font tressaillir malgré la chaleur que la baignoire plus qu’à moitié remplie exhale dans la pièce exiguë. Stefan ose à peine respirer, voire bouger, de peur de faire cesser ces instants magiques de soumission, imposée par la femme qu’il aime et à laquelle il se sent plus que jamais appartenir.