« Tu crois qu’il faut se lever, mon ange ?
– Mhhhhh, fit Nathalie, je ne sais pas trop. »
Un bâillement l’empêcha de continuer sa phrase, et elle s’abandonna aux plaisirs d’un réveil tout en douceur. Elle s’étira en frottant son dos contre la poitrine de son amant, et quand elle reprit, sa voix mêlait les accents d’une volupté de femme languissante au ronronnement d’un chat couché en boule sur un radiateur :
« Finalement, je ne crois pas. »
Cette phrase fut accompagnée d’un sourire tellement chargé de volupté et d’une expression si langoureuse que Stefan, s’il avait pu lire sur son visage, n’aurait pas hésité à renouveler les caresses de tantôt. Il devina pourtant à moitié les promesses qui y étaient contenues, et il continua à promener sa main sur le dos et les épaules qu’elle lui offrait.
« Du coup, on n’ira pas au Louvre ? Et le concert, on n’ira pas, non plus ?
– M’enfin, ce n’est pas juste de me poser de telles questions, m’amour. Tu sais que je ne voudrais pas rater ce concert – c’est mon cadeau de Noël, après tout.
– Exactement ! » répliqua Stefan, qui insistait sur la nécessité de se lever, pendant que ses mains glissaient sur le flanc de la femme couchée et se rapprochaient dangereusement de ses seins.
Nathalie, tiraillée entre l’envie de rester couchée près des doigts tendres de Stefan et celle de profiter pleinement de son séjour dans la capitale, prit finalement une décision, sauta hors du lit, et tapa sur les mains baladeuses de Stefan. Sur son visage, la volupté avait été remplacée par l’hilarité devant le regard consterné de son amant. Les mains sur les hanches, elle se dressa devant le lit, exposant toute la splendeur de son corps, telle l’incarnation de la divinité antique dont la nudité était justement un des atouts les plus naturels.
« Alors là, ça ne va pas, hein ? Est-ce qu’on va rester sage ? C’est toi qui as eu l’idée de m’offrir un concert, non ? Et c’est toi qui as proposé une visite dans un musée avant. Alors, lequel est-ce que ce sera ?
– Je ne sais pas trop. On peut aller voir le musée d’Orsay. Toi qui aimes Courbet… En même temps, le Louvre, c’est quelque chose de spécial.
– C’est vrai, ça. En plus, tu as déjà été au Quai d’Orsay, et je voudrais te faire faire quelque chose dont les souvenirs ne se rapportent qu’à moi.
– Tu serais jalouse de mes souvenirs alors ?
– Tu sais, il y en a tant déjà que nous ne partageons pas … Je voudrais qu’il y ait, dans ta tête, même dans 10 ans, une petite place consacrée rien qu’à nous deux. Et une promenade dans le Louvre, ça sort de l’ordinaire, tu ne trouves pas ?
– Si. Ce sera le Louvre alors.
– Ça va ! »
Nathalie se jeta sur Stefan qui, totalement pris au dépourvu, n’eut même pas le temps de lever ses bras pour adoucir le choc. Les mains posées sur ses joues, elle fixa sa tête et couvrit ses lèvres de baisers brefs et rapides. Tout ça se passa dans l’espace de quelques instants, et quand elle se leva pour contempler sa conquête, elle affichait le sourire vainqueur de la maîtresse qui venait de subjuguer sa proie.
Hors d’haleine, Stefan ne put pas prononcer la moindre parole et se contenta de la regarder s’éloigner vers la salle de bain, où elle disparut pour prendre une douche rapide. Stefan resta couché, s’enveloppa dans la couette, et tourna sur le côté. C’était sa position favorite pour goûter les derniers instants de repos avant de devoir se lever pour affronter la journée. Là, il était partagé entre le désir de prolonger le séjour au lieu précis qui avait été le théâtre de leurs ébats nocturnes, de leur première rencontre en amants, et le désir tout aussi fort de passer la journée en activités, en compagnie de cette femme dont il connaissait déjà assez l’intelligence et l’imagination pour l’apprécier à sa juste valeur. Une promenade avec elle à travers les salles du Louvre, cela promettait des délices. Du coup, tout en restant enveloppé par la chaleur du lit où il pouvait encore respirer le parfum de leurs amours, il était déjà en avance sur la journée et se vit parti pour la ville, en compagnie d’une femme ravissante.
Il était dix heures quand Nathalie sortit de la salle de bain. Elle était toujours nue, et ses cheveux, qu’elle n’avait pas lavés, entouraient sa tête d’une sorte de voile. Elle ressemblait à une déesse qui passait. Seulement, quelle déesse ? L’assurance de sa démarche et la conscience de sa nudité comme seul état convenable, le peu de cas qu’elle semblait faire des effets qu’elle avait sur Stefan, le firent penser à Diane, mais Stefan ne savait que trop que l’épithète d’une déesse chaste, voire vierge, n’était que peu adapté à Nathalie. Le souvenir de la nuit passée évoqua plutôt Vénus, mais la beauté de Nathalie était d’un tout autre genre que celle dont était parée la déesse de l’Amour, trop parfaite pour faire naître une quelconque envie de la serrer fortement contre une poitrine mortelle.
Pendant que Stefan était absorbé par ses réflexions quant à la nature de la femme avec laquelle il était finalement réuni, Nathalie tira un string de sa valise. Elle se pencha, leva un pied, puis l’autre, et l’enfila en se relevant très lentement. Avant d’être devenue la cible des agressions érotiques de Nathalie, Stefan n’avait pas cru possible de conférer un tel degré de lascivité à un acte aussi banal et quotidien. Elle réussit à envoûter Stefan au même degré que par le procédé inverse. Stupéfait, il vit disparaître la touffe noir derrière l’éclat satiné. Contente de ses effets, elle regagna la salle de bain, le regard de Stefan rivé sur ses fesses nues entre lesquelles disparaissait, au gré du balancement de ses hanches, le bout de ficelle du string. Stefan était littéralement tombé sous le charme de cette femme – et de ses fesses. Cette idée le fit sourire, et Nathalie regarda par la porte restée ouverte pour savoir ce qui se passait. Quand elle vit le sourire de son amant, elle aussi se mit à rire, et se rapprocha pour cueillir un bisou sur ses lèvres.
« Vas‑y, mon cœur, je suis prête. »
Ils sortirent de l’hôtel vers onze heures, assez fiers tous les deux d’avoir su résister à la tentation renouvelée de leurs corps. Ils savaient que cette voie leur restait ouverte, mais d’abord, il y avait toute une journée à passer ensemble. Et ils comptaient l’employer pour s’imprégner de sensations communes, pour se créer des souvenirs partagés.