La route descendait à l’approche de la Marne. Après quelques centaines de mètres, Nathalie et Stefan arrivèrent sur le pont éponyme de la sombre petite ville. Le courant qui passait sous leurs pieds apportait encore plus de froid, le déposant et l’empilant aux rivages. Une légère brume, presque imperceptible, flottait sur l’eau, montait le long des piliers en les enveloppant, se hissant jusqu’au niveau de la chaussée. Elle couvrit leurs manteaux et leurs visages de gouttelettes microscopiques. Au milieu de la rivière, une île, embrassée par la nuit liquéfiée. Le froid et la neige l’avaient comme pétrifiée, et la nappe blanche dont la neige l’avait recouverte faisait, par contraste, ressortir mieux encore le noir des flots. L’eau coulait en silence, mais du clapotis de ses vaguelettes berçant les joncs et les herbes des bords, se dégageait un murmure qui remplissait leurs oreilles des plaisirs de l’oubli qu’on trouverait enseveli dans ses fonds vaseux.
Nathalie s’arrêta pour regarder couler la rivière. Elle suivit son cours en amont, et soudain, sa mémoire lui apporta des mots charriés par un autre courant qui la reliait au passé : « Je viendrai avec toi à PARIS ». Un texto, rien que cette phrase, simple promesse faite après un dialogue par SMS où ils s’étaient imaginés dans une rue hivernale, en train de boire du vin chaud, et de se promener main dans la main dans des parcs enneigés. Une rencontre à Paris, Stefan l’avait proposée il y avait déjà quelques mois. Une ville à mi-chemin entre eux, facilement accessible par TGV. Et qui avait l’avantage de permettre toutes sortes d’évasions si jamais la réalité ne tiendrait pas les promesses du virtuel. Nathalie avait quelque peu hésité devant l’inconnu, devant la force entraperçue des sentiments de Stefan et les difficultés qui se dressaient énormes entre eux et l’avenir. « Imagine, je vole vers toi, dans une ville étrangère » – après tout, quel sorte de mec était-il ? Finalement, elle avait osé. Les discussions via texto, tchat, mail ou au téléphone l’avaient rassurée sur son caractère. Ils ne seraient peut-être pas compatibles en fin de compte, mais ce n’était pas un sale type quand-même. L’incompatibilité. Une bonne partie de ses doutes étaient pourtant liés à ce mot-là. Elle adorait leurs échanges. Quand il appelait, un sourire se dessinait sur ses lèvres ; quand sa voix la caressait, le froid dans son dos la faisait trembloter ; quand sa langue imaginaire tournait autour de ses mamelons, une chaleur visqueuse ruisselait entre ses jambes. Elle ne voulait pas le perdre, ce qui arriverait sans doute si tous les deux – ou pire : l’un des deux – se retrouverait désabusé après une rencontre. Mais la confiance l’avait remporté. La confiance en lui, bien sûr, mais celle, surtout, en eux, et en une réussite possible du couple. Le « nous » était là, à portée de main, et la prudence exagérée n’était pas dans sa nature. Elle ne se priverait pas de toutes ses potentialités en cédant à la peur. Pourquoi est-ce qu’elle aurait quitté son mari, si elle comptait s’enfermer entre quatre murs, avec sa fille, pour y végéter dans un virtuel éternellement stérile ? Elle se tourna vers Stefan, l’attira doucement vers elle, pencha sa tête, et lui appliqua une suite de baisers sur les lèvres.
« Qu’est-ce que c’était que ça ? », demanda-t-il, surpris.
– Je picore », répondit-elle, accompagnant cette réplique d’un sourire et d’une pression de sa main.
Ils se remirent en route, main dans la main, avançant lentement, en se racontant les détails de leurs voyages et de leurs journées respectifs.