Stefan la contempla. Elle était ressemblante aux photos qu’elle lui avait envoyées, mais, en même temps, il la découvrit différente. Une différence qu’il ne sut expliquer d’abord, mais dans laquelle entraient la vie qui animait sa figure et la force des sentiments qu’elle irradiait. Quelque chose qui avait besoin, pour être compris, de plus que de rayons de lumière et de matière organique les captant au bout du parcours. Qui devait s’adresser directement aux courants électriques dont était animée la matière grise à laquelle les yeux étaient liés. Il chercha à relever les attributs qui changeaient l’ovale rayonnant en physionomie, et, à force de regarder, ils s’imposèrent à lui, un par un, comme sur les clichés : les cheveux longs et un rien bouclés, son front droit, son nez en trompette avec le bout si innocemment relevé, et, surtout, ses pommettes saillantes rendues si remarquables par son sourire – et dont on eût dit qu’ils devaient au sourire de cette femme jusqu’à leur existence. C’était le premier trait de son visage qu’il avait noté, qu’il avait étudié avec application sur toutes les photos pour apprendre dans quelles conditions elles naissaient entre les yeux et les lèvres.
Finalement, une femme aux cheveux longs, bouffants, un sourire amorcé sur les lèvres, comme tenu en réserve, apparut entre les portes ouvertes. Comme lui, elle tendait le cou, visiblement à la recherche de quelqu’un, dont elle voulait attirer l’attention par ce geste qui la fit ressortir de la masse. Leurs regards se croisèrent et ils se reconnurent presque à l’instant même. Nathalie descendit les marches et, arrivée sur le quai, se dégagea de la cohue. Elle s’arrêta, le sourire pleinement épanoui depuis qu’elle avait reconnu l’homme qui l’attendait. Stefan sentit s’étirer les millièmes de secondes qui précédèrent l’action de ses muscles et ce fut pendant ces infimes instants d’une éternité comprimée que les traits du visage de la femme finirent par se brûler indélébiles dans le tissu de son cerveau.
Elle portait une veste bleue contre le froid, un petit sac noir, des bottes. C’était tout ce que Stefan eut le temps de remarquer avant qu’ils fussent arrivés l’un assez près de l’autre – avant qu’il la serrât très fort dans ses bras, presque violemment. Avant de fermer les yeux et de se laisser emporter par la vague de chaleur qui la précédait.
Ce furent des moments de pur bonheur. La tenir, sentir ou plutôt deviner les formes de son corps à travers les couches d’édredon, la joue qui effleurait la sienne, respirer l’odeur qui se dégageait de ces quelques centimètres carré de peau nue, s’en remplir les narines et les poumons, plonger au fond d’un abîme insondable de volupté que cet échantillon laissait entrevoir et dont il promettait les délices en même temps. Trouver ses lèvres qui s’ouvrirent légèrement et laissèrent partir son haleine chargée d’une odeur moite qu’il aspira avidement. C’était leur toute première rencontre, et la distance entre eux avait déjà cessé d’exister, abolie jusqu’à son souvenir.
« Je ne te lâcherai plus jamais, Nathalie… plus jamais ! »
Ensuite, le silence. Son visage enfoui dans l’abondance de sa chevelure, sa voix étouffée par les vagues soyeuses d’une crinière dont chaque mèche semblait offrir l’amour et l’oubli. Le silence que les autres passagers, dont les flots se déversaient toujours sur le quai, n’arrivaient pas à rompre, que les bousculades de la foule ne pouvaient faire cesser et qui enfermait les deux amants de quelques instants dans une bulle où leurs étreintes devenaient plus fermes et leurs baisers plus profonds.