Stefan fut surpris de se retrouver dans une baignoire, dont l’eau ne ressemblait en rien à celle de ses souvenirs. Le retour en arrière fut assez brusque pour brouiller sa mémoire jusqu’au nom de la femme qu’il trouva assise contre lui, et dont il sentit la tête et les cheveux sur la poitrine. L’abolition du temps, voici le propre du souvenir, pensa-t-il. Pendant un instant, il était retourné en arrière pour y vivre des jours entiers en condensé.
Une voix le tira d’embarras :
« Dis, tu ne trouves pas qu’il commence à faire un peu frisquet, dans l’eau ? »
Avec sa tête encore prise dans les brumes du passé, à peine révolu s’il s’en remettait à la seule vivacité des souvenirs, il eut de la peine à comprendre ce qu’on lui proposait – ce que Nathalie lui proposait, le nom s’étant finalement dégagé du délire. Un ivrogne se réveillant après une nuit trop courte, passée à vider trop de bouteilles, c’était l’image qui se présentait pour résumer son état.
« Un peu quand-même, oui, répondit-il, avec une voix comme enrouée.
– Et si on sortait ?
– Je veux bien. Qu’est-ce qu’on fait alors ? Tu veux te doucher la première ?
– Non, vas‑y, toi, d’abord. J’aimerais trop te regarder pendant que tu te laves.
Cette dernière phrase fut dite avec un accent de volupté qui fit comprendre à Stefan, malgré son trouble, que ce n’était finalement pas la température qui avait fait naître chez Nathalie l’idée de sortir du bain. Il se leva, prit le flacon qu’elle lui tendait, et se savonna partout. Le mouvement, aidant le sang à reprendre le rythme habituel de la circulation, contribua à le faire sortir de son engourdissement. Il trouva que ce n’était pas une mince affaire que de se rincer dans un espace très restreint, occupé en plus par deux personnes. D’abord, s’il devait évidemment faire attention de ne pas marcher sur Nathalie, il fallait ensuite éviter d’inonder la salle de bain. Il se débrouilla pourtant, et une fois sorti de la baignoire, il s’essuya et s’enveloppa ensuite dans sa serviette. Nathalie l’avait regardé faire pendant tout le temps qu’il y mettait. Stefan guettait l’instant où elle se lèverait à son tour, mais comme elle voulait faire monter la tension pour profiter d’une décharge plus violente plus tard, elle le fit partir en lui proposant de chauffer le lit.
L’effet de l’évaporation se fit ressentir, et quand la chair de poule commença à couvrir ses bras, Stefan finit par trouver cette idée d’attendre Nathalie au lit simplement géniale. Il lança la serviette humide sur le dossier d’une chaise, souleva la couette et glissa dessous pour s’abriter dans un cocon de chaleur.
Nathalie, après quelques derniers instants passés à se vautrer dans l’eau, se leva et fit marcher la douche. Stefan, qui l’entendit, l’imagina, sur fond de ce bruit monotone, en train de couvrir son corps de savon, partout, entre ses seins, sur son ventre, entre ses cuisses, sur les fesses, le long de ses jambes. Détendu par sa propre chaleur qui se concentrait sous les couvertures, il se réchauffait, et ferma les yeux dans un accès de somnolence voluptueuse. Il vit Nathalie se rincer, de petits filets se faufilant sournoisement entre ses seins, emportant les dernières traces de la mousse.
Finalement, Nathalie sortit de la baignoire, et son ombre se dessina sur la porte ouverte. Stefan l’entendit agiter les serviettes. Puis, elle était là, debout dans l’encadrement de la porte, nue, examinant la chambre, le lit, son amant. Les serviettes étaient restées dans la salle de bain, négligemment jetées quelque part. Pressée de rejoindre Stefan sous la couette, elle ne s’était que sommairement essuyée, et sa peau étincelait sous la lumière artificielle. L’humidité, en pénétrant dans ses cheveux, les avait rendus plus foncés et plus lourds. Ils collaient contre le crâne qu’ils encadraient et faisaient ainsi paraître plus grand, plus anguleux, comme privé de son auréole. Sa figure, sous l’effet de cette nappe sombre, brillait d’un éclat plus blanc. Les mamelons pointaient toujours, au bout de seins que ses pas vigoureux faisaient balancer, quand elle prit enfin la résolution de pénétrer dans la chambre. Au milieu de son ventre saillant, l’ombre noire du nombril attirait les regards comme le centre d’une cible les flèches. Au-dessous, juste un peu plus bas, s’étendait la région sur laquelle régnait le mystère soyeux et sombre des poils qu’elle avait tondus pour leur donner encore plus de douceur. Ses jambes, pas très longues mais d’un galbe régulier, vibraient sous la force d’une énergie retenue.
Sans hésiter, elle souleva la couette et se coucha. Tout ça se passa de la façon la plus naturelle du monde. Une femme, un homme. Stefan resta un peu à l’écart pour mieux la contempler. Pendant quelques instants il ne vit que sa tête sortir de dessous la couette. Stefan avança sa main droite pour lui caresser le visage. Le front d’abord, juste à la racine des cheveux, puis les tempes, les joues, le menton. Sa peau était étonnamment blanche pour une fille du midi. Même compte tenu de la saison. Il arrêta son doigt près de ses lèvres qui l’accueillirent avec un léger frémissement, telles des avant-gardes de sa sensualité. Leur rouge avait pris des nuances moins foncées à cause du froid qui, agissant avec beaucoup d’efficacité sur une peau réchauffée par l’eau de bain, avait fait reculer le sang ailleurs que dans ces parties trop exposées du corps. Pas très charnues, elles étaient pourtant finement dessinées, comme si un artiste, d’habitude plutôt du genre réticent, avait voulu, pour une fois, se lancer avec verve dans sa tâche. Stefan y posa son index et suivit les lignes élancées de cette bouche. Après en avoir fait le tour, il plaça le doigt sur le bout du nez d’où il dominait le terrain qu’il venait de parcourir. Il l’y laissa reposer pendant quelques instants, puis le fit descendre, à droite, à gauche, caressant et chatouillant sur son passage. Elle tendit le cou pour lui rendre les caresses plus faciles. Stefan appliqua sa main entière pour couvrir une plus grande partie de son visage, et, comme un chat qu’on caresse, elle cherchait à deviner la position que la main allait prendre pour venir à sa rencontre et y appuyer sa tête. Puis, elle ouvrit ses lèvres pour les fermer autour d’un doigt qui passait. Elle l’arrêta, exerçant juste assez de pression pour lui faire comprendre ce qu’elle voulait : arrêter les préliminaires, et très fort la serrer.
Stefan tendit ses bras, elle avança. Il la prit et ses muscles tremblèrent sous la force qu’il dépensait, comme s’il voulait la faire franchir la barrière dressée entre eux. Attisés par le désir, ils se laissèrent envelopper par la couche de chaleur que la proximité créait autour d’eux. Ouvrant les yeux, simultanément, pour y puiser un plaisir mutuel, ils se retrouvèrent avec les bouts de leurs nez collés l’un contre l’autre, leurs yeux à une distance de quelques centimètres. Stefan vit des reflets dorés parcourir les prunelles de Nathalie. Ébloui, il baissa les paupières, et, rendu soudain aveugle par la nuit orangée qui régnait dans sa tête, chercha à atteindre ses lèvres. Un long baiser leur donnait à tous les deux la mesure du plaisir qu’ils étaient capables de s’offrir mutuellement.
Ils passèrent des instants rendus interminables par la volupté à s’effleurer, à s’embrasser et à se palper à l’abri des couvertures. Passant de la bouche au cou, à la gorge, à la poitrine, descendant toujours plus loin, le long des flancs, Stefan arriva sur le ventre où il réalisa son fantasme en trempant sa langue dans le creux du nombril qu’il lécha pendant de longues minutes. Au tout premier contact de cette chair chatouilleuse, l’effet de surprise avait fait sursauter Nathalie. Elle eut le premier réflexe de le repousser, mais deux, trois coups de langue avaient suffi pour la rendre docile, la faisant sombrer dans une volupté que les coups doux et humides de la langue hardie enfoncèrent au milieu de son ventre. Ensuite, Stefan entama une ultime descente lente et délicieuse, ponctuée de baisers et de coups de langue répétés, jusqu’à l’endroit où les cuisses encore serrées lui bloquaient provisoirement encore le passage.