VII. Sur le quai de la Gare de Lyon

Ste­fan la con­tem­pla. Elle était ressem­blante aux pho­tos qu’elle lui avait envoyées, mais, en même temps, il la décou­vrit dif­férente. Une dif­férence qu’il ne sut expli­quer d’abord, mais dans laque­lle entraient la vie qui ani­mait sa fig­ure et la force des sen­ti­ments qu’elle irra­di­ait. Quelque chose qui avait besoin, pour être com­pris, de plus que de rayons de lumière et de matière organique les cap­tant au bout du par­cours. Qui devait s’adresser directe­ment aux courants élec­triques dont était ani­mée la matière grise à laque­lle les yeux étaient liés. Il cher­cha à relever les attrib­uts qui changeaient l’o­vale ray­on­nant en phy­s­ionomie, et, à force de regarder, ils s’im­posèrent à lui, un par un, comme sur les clichés : les cheveux longs et un rien bouclés, son front droit, son nez en trompette avec le bout si inno­cem­ment relevé, et, surtout, ses pom­mettes sail­lantes ren­dues si remar­quables par son sourire – et dont on eût dit qu’ils devaient au sourire de cette femme jusqu’à leur exis­tence. C’était le pre­mier trait de son vis­age qu’il avait noté, qu’il avait étudié avec appli­ca­tion sur toutes les pho­tos pour appren­dre dans quelles con­di­tions elles nais­saient entre les yeux et les lèvres.

Sur le quai de la Gare de Lyon

Finale­ment, une femme aux cheveux longs, bouf­fants, un sourire amor­cé sur les lèvres, comme tenu en réserve, apparut entre les portes ouvertes. Comme lui, elle tendait le cou, vis­i­ble­ment à la recherche de quelqu’un, dont elle voulait attir­er l’attention par ce geste qui la fit ressor­tir de la masse. Leurs regards se croisèrent et ils se recon­nurent presque à l’instant même. Nathalie descen­dit les march­es et, arrivée sur le quai, se dégagea de la cohue. Elle s’arrêta, le sourire pleine­ment épanoui depuis qu’elle avait recon­nu l’homme qui l’attendait. Ste­fan sen­tit s’étirer les mil­lièmes de sec­on­des qui précédèrent l’action de ses mus­cles et ce fut pen­dant ces infimes instants d’une éter­nité com­primée que les traits du vis­age de la femme finirent par se brûler indélé­biles dans le tis­su de son cerveau.

Elle por­tait une veste bleue con­tre le froid, un petit sac noir, des bottes. C’était tout ce que Ste­fan eut le temps de remar­quer avant qu’ils fussent arrivés l’un assez près de l’autre – avant qu’il la ser­rât très fort dans ses bras, presque vio­lem­ment. Avant de fer­mer les yeux et de se laiss­er emporter par la vague de chaleur qui la précédait.

Ce furent des moments de pur bon­heur. La tenir, sen­tir ou plutôt devin­er les formes de son corps à tra­vers les couch­es d’édredon, la joue qui effleu­rait la sienne, respir­er l’odeur qui se dégageait de ces quelques cen­timètres car­ré de peau nue, s’en rem­plir les nar­ines et les poumons, plonger au fond d’un abîme insond­able de volup­té que cet échan­til­lon lais­sait entrevoir et dont il promet­tait les délices en même temps. Trou­ver ses lèvres qui s’ouvrirent légère­ment et lais­sèrent par­tir son haleine chargée d’une odeur moite qu’il aspi­ra avide­ment. C’était leur toute pre­mière ren­con­tre, et la dis­tance entre eux avait déjà cessé d’exister, abolie jusqu’à son souvenir.

« Je ne te lâcherai plus jamais, Nathalie… plus jamais ! »

Ensuite, le silence. Son vis­age enfoui dans l’abondance de sa chevelure, sa voix étouf­fée par les vagues soyeuses d’une crinière dont chaque mèche sem­blait offrir l’amour et l’oubli. Le silence que les autres pas­sagers, dont les flots se déver­saient tou­jours sur le quai, n’arrivaient pas à rompre, que les bous­cu­lades de la foule ne pou­vaient faire cess­er et qui enfer­mait les deux amants de quelques instants dans une bulle où leurs étreintes deve­naient plus fer­mes et leurs bais­ers plus profonds. 

viii. connaissance